La lauréate du prix de la thèse de doctorat avec distinction pour les Beaux-Arts, les sciences humaines et les sciences sociales, reçoit des éloges concernant la découverte d’une nouvelle sphère de l’ethnomusicologie en Éthiopie.

Depuis 2002, Leila Qashu (doctorante en ethnomusicologie de l’université de Terre-Neuve) effectue des recherches concernant la juxtaposition entre le système juridique éthiopien et les pratiques habituelles en matière de résolution de conflits, pratiquées par les communautés indigènes de l’Arsi Oromo, qui représentent également une minorité politique.

Plus précisément, sa thèse de doctorat examinait un processus judiciaire appelé ateetee, qui stipule que les femmes mariées provenant des communautés de l’Arsi Oromo ayant subi des maltraitances sous n’importe quelle forme, doivent se rendent à la demeure de leur agresseur pour chanter et négocier, jusqu’à l’obtention d’une résolution et d’une réconciliation.

« Il y a des leçons à tirer de cela. Tout d’abord, il est essentiel d’écouter et de comprendre les voix, les perspectives et le fondement de l’histoire », explique Leila Qashu. « Les femmes d’Arsi ont eu leurs propres discours sur les droits pendant des siècles et continuent à s’engager dans ces débats locaux. Elles sont au centre du processus de règlement des différends et naviguent consciemment entre divers systèmes de justice en utilisant leur processus judiciaire de chant habituel, plutôt que les tribunaux gouvernementaux, pour obtenir des résultats.

https://ozza2b.p3cdn1.secureserver.net/images/awards/ets/2018/LeilaQuashu2.jpg

« Deuxièmement, dans bon nombre de contextes indigènes, la justice n’est pas seulement une affaire de mots. Par exemple, un rituel, un poème ou une prière peut aussi faire partie du processus judiciaire. De plus, l’incarnation du « fait » ou la performance des arts peut représenter un complément de la justice. Le fait de chanter pour la justice constitue un moyen différent de remettre en cause les suppositions, les perceptions et les formes normalisées de promulgation.

« En ce qui concerne la justice au Canada, considérer d’autres modèles de justices de pays différents et de communautés indigènes pourrait nous donner des idées sur la façon de permettre aux femmes de déposer des plaintes et de mieux faire respecter leur témoignage ».

Lorsqu’elle complétait sa recherche, le cas de Jian Ghomeshi dominait les manchettes dans les médias. Les différences dans la façon dont les victimes ont été traitées dans leur environnement étaient frappantes.

« Les victimes d’abus sexuels se sont présentées, mais des complexités avec l’affaire ont émergé, car elle a été jugée pénalement; les témoins ont été considérés comme étant peu fiables, mais leurs témoignages n’ont pas été respectés dans les médias, et des problèmes en matière de système judiciaire se sont ajoutés. Beaucoup d’autres femmes ont commencé à expliquer pourquoi elles ne se sont pas rendues à la police, et qu’au moment où elles l’ont fait, comment le processus de justice était complexe et leur témoignage parfois considéré comme non crédible. Suite à ces procès, les femmes ont fini par être isolées parce qu’elles n’étaient pas au cœur du processus du conflit judiciaire.

https://ozza2b.p3cdn1.secureserver.net/images/awards/ets/2018/LeilaQuashu1.jpg

« Mais en Éthiopie, les femmes d’Arsi Oromo travaillent en groupe, elles chantent ensemble; elles ont une communauté de soutien et un conseil de femmes. Dans leur société, leurs témoignages sont très respectés, considérés comme sacrés et font partie de la loi. Tout le processus judiciaire se déroule avec le soutien incroyable de la communauté. Le fait d’avoir une communauté entière impliquée tient les parties contestantes responsables, et ceci crée une atmosphère où la restauration de l’équilibre et le rétablissement de saines relations sont essentiels. »

En 2015, la thèse de doctorat de Leila Qashu a remporté le prix prestigieux Charlotte Frisbie par la Society for Ethnomusicology, pour le meilleur travail rédigé de façon manuscrite dans le cadre d’études indigènes.

Une lettre de nomination pour la thèse de doctorat avec distinction, écrite par les cosuperviseurs de Leila Qashu, Dre Beverley Diamond and Dre Kati Szego, en plus de Dre Ellen Waterman, la doyenne en musique lors des études de Leila Qashu à l’université Memorial de Terre-Neuve, explique pourquoi sa recherche a reçu une si grande et rare attention, avec distinction, mais hautement méritée.

« La thèse de Dre Qashu est une étude intersectionnelle particulièrement originale des pratiques expressives, du droit et de la justice sociale. Sa recherche de doctorat sur la résistance des femmes face à la violence contre les femmes peut sembler à première vue ésotérique, mais implique de vastes questions de réconciliation et de justice alternative », écrivent-ils.

« Elle offre aussi un riche matériel ethnographique sur la façon dont différents groupes islamiques interagissent avec les systèmes de croyance locaux et les façons dont les représentants de l’État considèrent cette pratique comme étant complémentaire… C’est sa capacité de vivre et de s’adapter pleinement à la vie nomade des personnes avec qui elle travaille qui permet vraiment à son travail sur le terrain d’être si productif et sensible aux problèmes des humains. Elle parvient à gagner de la confiance puisqu’elle soutient les individus et les communautés de plusieurs façons, y compris en racontant leurs histoires lorsqu’ils le demandent.

En plus d’être une conférencière parlant couramment le français et l’oromo, et une étudiante d’amharique et d’arabe, Leila Qashu n’est pas seulement boursière de la fondation Trudeau, mais également récipiendaire d’une bourse postdoctorale Banting, où elle poursuit ses recherches sur les habitants d’Arsi Omoro à l’université de Concordia. Elle prépare actuellement sa thèse dans le but de la publier sous forme d’un livre et d’un documentaire.

« La recherche interdisciplinaire de Dre Qashu a enrichi notre compréhension du monde en évoquant plusieurs thèmes, lieux géographiques et même des moyens de narration », a déclaré Dre Brenda Brouwer, présidente de l’ACES. « La façon dont elle a mis en œuvre sa curiosité, sa pensée originale et sa passion pour le domaine des études indigènes dans sa recherche, souligne tout ce que nous recherchons et espérons inspirer à nos étudiants diplômés. »

Leila Qashu recevra son prix au mois de novembre prochain lors de la conférence annuelle de l’Association canadienne pour les études supérieures à Toronto. Elle sera accompagnée de Boyang Zhang, gagnant de la thèse de doctorat avec distinction en ingénierie, sciences médicales et sciences naturelles.